Tous les chemins... ("Habemus Papam")

Ici, une double lecture d'Habemus Papam par mes amis Bertrand Pleven et Gilles Fumey, à lire absolument, avant ou après s'être délecté devant le dernier Moretti. Je risque quelques addenda, ayant enfin pu le voir hier (un jour je vous parlerai de Fribourg, avec son très gros et très vilain multiplex perdu dans un sous-sol, où le spectateur est condamné à la double peine des pop-corns du voisin et de la version française généralisée, alors qu'à quelques dizaines de mètres se trouve le très chouette cinéma Rex, dont la programmation n'a rien à envier aux salles du Quartier Latin).

La construction du film repose tout entière sur ce contraste entre intérieur (le Vatican) et extérieur (Rome), qui appelle un ensemble d'autres jeux d'oppositions: costumes et uniformes/tenues civiles, contrainte/liberté de mouvements, angles droits/courbes, mesquinerie/générosité, comédie du Conclave/"vraie" pièce de Tchekhov, dépression/épanouissement (ou thérapie), limites nettes/ouverture. Oppositions auxquelles répond celle entre le jeu cabotin de Moretti, en psychanalyste anti-clérical manifestant un plaisir sadique à se moquer des cardinaux et, à l'inverse, l'émouvante sincérité de Piccoli, dont la fragilité et l'humilité semblent tenir autant du personnage que de l'acteur - avec ce moment énorme où le monstre sacré du cinéma, penaud, annonce à sa psychanalyste qu'il n'est pas devenu acteur parce qu'il a loupé l'entrée au conservatoire.

Pendant que, dans les interstices des rues romaines, se joue cette authenticité, une toute autre ambiance anime la chapelle Sixtine. Enfermés dans l'attente du retour du pape fuyard, à l'abri de regards qui exigeraient une mise en scène minutieuse de chacun de leurs mouvements, les cardinaux se gavent d'antidépresseurs, jouent au ballon comme des enfants et déballent leurs petites mesquineries, avec en toile de fond des merveilles architecturales et picturales - à commencer par le Jugement dernier de Michel-Ange, dominant la chapelle où les cardinaux élisent le nouveau Saint-Père en priant de toutes leurs forces pour ne pas être élus. Merveilles dont la majesté accentue encore la petitesse de ces pantins.


Par cet aspect hermétique et géométrique, cet isolement total qui semble subi par les individus mais qu'impose leur condition - voulue, elle -, le Vatican apparait comme une sorte de gated community au carré - avec les gardes suisses comme cerbères-reliques d'un autre temps -, comme un lieu de contrôle absolu des moindres gestes et paroles, soit une négation de la ville et du champ des possibles que celle-ci représente. En cela, chez Moretti, le Vatican est tout sauf une métonymie de Rome, en dépit de son omniprésence.

Or il n'y a que dans les rues étroites et obliques de Rome, Barcelone, Paris ou Amsterdam - et pas forcément au cinéma - qu'on peut être réveillé, au milieu de la nuit, par un comédien cinglé déambulant en peignoir en récitant les dialogues de La Mouette, alors qu'une ambulance l'attend à la porte de son hôtel. Il n'y a que dans les villes européennes qu'on peut se perdre en déambulant à l'infini, dans le plus total anonymat et, par-là même, se retrouver.

Nani Moretti, Habemus Papam, Italie, 2011.

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