Perdons la tête ("Headhunters")

Ma moitié m'a fait remarquer, après avoir vu Millenium, qu'il y avait comme une recrudescence sur les écrans européens de films Scandinaves. Dans ma grande sagesse, je lui ai rétorqué qu'il s'agissait là sans doute d'une affirmation peu scientifique, tout au plus d’une impression méritant une étude rigoureuse et approfondie, puis je me suis empressé de l'emmener voir Headhunters, un excellent thriller... norvégien. Cette merveille était mon favori pour le prix du public à Locarno, ce qui pourrait bien participer à expliquer qu'il n'ait rien eu.

Pauvre lecteur français ou romand, tu te demandes de quel film je veux parler ? Eh oui, tout le monde n'a pas la chance de vivre à califourchon sur le Röstigraben et de s'offrir le luxe d'aller à Berne goûter aux joies de la programmation alémanique. C'est injuste mais c'est comme ça. Cela étant, je serais surpris que les professionnels de Romandie et de France se retiennent longtemps de diffuser ce bijou nordique, ne serait-ce que pour se faire pardonner d'avoir infligé Ghost Rider 2 ou La Dame de fer à d'innocents spectateurs qui n'avaient rien demandé à personne.

Pour la vraisemblance, on repassera : quelques incohérences, quelques trous dans la belle mécanique, mais de ceux qu’on décortique après et qui n’ont finalement que ce bon côté de nourrir la conversation post-séance. À part ça, le scénario emporte l’adhésion par son rythme et son originalité : bien malin qui devine comment vont se défaire les fils tissés durant le premier quart d’heure.

Ces fils se nouent autour d’un chasseur de têtes arriviste, frustré par son mètre soixante-huit et marié à une grande blonde artiste – cette description vous rappelle quelqu'un... non, désolé, je ne vois vraiment pas – et qui, pour arrondir ses fins de mois, vole des tableaux chez des particuliers. Jusqu’à ce que l’arroseur se retrouve arrosé et contraint de fuir devant un ennemi aussi redoutable qu’insoupçonné. Commence une course-poursuite haletante, bien servie par l’interprète principal - Aksel Hennie - qui, même lorsqu’il se retrouve dans la merde jusqu’au cou – et un peu plus, au sens propre – ne se départit jamais d’une incroyable énergie, d’un opportunisme de tous les instants qui le rend à la fois odieux et attachant.

Attachant car son périple est aussi l’occasion d’une remise en question radicale de sa personnalité et des fondements même de son quotidien. C’est là que le film dépasse le niveau de l’exercice de style et mêle au thriller le drame initiatique : le héros part loin, très loin, dans les immensités blanches, subit les pires humiliations et va jusqu’à l’automutilation pour faire le deuil – partiel, si l’on en croit la dernière scène – de sa médiocrité d’arriviste frustré et égocentrique.

Le tout avec une énergie qui tient le spectateur en haleine à chaque seconde, agrémenté de seconds rôles soignés – mention spéciale à l’agent de sécurité obsédé par les armes à feu et amoureux, à sa façon, d’une prostituée russe. C’est-à-dire que l’exercice de style, aussi, est une réussite, assaisonnée d’un humour noir très scandinave dont une scène de poursuite en tracteur constitue l’un des sommets. Intelligent et efficace : à ne pas manquer.


À voir : Headhunters (Hodejegerne), Morten Tyldum, 2011.

La bande-annonce, sous-titrée en anglais :

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