La conquête du Sud (FIFF: "Il était une fois dans le Sud")

La section "cinéma de genre" du FIFF a permis cette année de faire profiter aux festivaliers de l'expertise du journaliste du Matin Jean-Philippe Bernard. Pour répondre à la question "qu'y a-t-il au Sud de l'Ouest ?", à moins que ce ne soit "qu'y a-t-il à l'Ouest du Sud ?", celui-ci a dégoté seize films du "Sud" - mais pas sudistes - reprenant avec une plus ou moins grande liberté les codes du western. De Kurosawa à Jodorowsky, de la Thailande au Brésil, il y avait de quoi, au minimum, éveiller la curiosité des esprits les plus récalcitrants au "cinéma américain par excellence".

Aux côtés d'incontournables comme Rashomon ou El Topo, l'une des plus grosses attentes s'est muée pour moi en une méchante désillusion. Dans Le Nôtre parmi les autres (1974), son premier long métrage - ceci expliquant possiblement cela - Mikhalkov se laisse aller, entre quelques rares moments de grâce, à une sorte de délire propagandiste d'une finesse digne des plus belles répliques de John Wayne dans la trilogie de la cavalerie de Ford. La marche en avant de l'homme nouveau, fruit du bolchévisme triomphant, se trouve sporadiquement ralentie par quelques brefs moments de doute leoniens, aussitôt surmontés par l'incomparable force de caractère des quatre principaux protagonistes, ainsi que par leur amitié à toute épreuve. Susdite amitié évoquée avec force violons et trompettes aussi moriconiennes que sirupeuses, lors d'hallucinants flashbacks : ne manque que le flou et la harpe.

Alors que le réalisateur argentin Diego Rougier, lui, ne se prend pas au sérieux pour un sou. Il signe avec Sal, présenté en ouverture du festival, une œuvre gentiment déjantée qui fait autant penser à un western par la surenchère de clins d’œil, qu'à Barton Fink par son idée de départ - Sergio, jeune auteur en mal d'inspiration et rêvant de tourner un western dans le désert de l'Atacama, va finalement écrire son scénario en le vivant, à moins que ce ne soit l'inverse. On constate d'ailleurs rapidement que le film ne possède rien d'autre du western que ses signes : armes à feu, duels, chevaux, cadre large, paysages d'immensités arides... L'accumulation, qui fait naviguer le film entre soumission aveugle et caricature ironique, emmène le spectateur complice dans une grande partie de rigolade annoncée par le nom qu'a donné le héros à son chat : Clint.

La structure, par contre, est celle d'un thriller, basé sur une intrigue assez classique : le cinéaste en mal d'idées, à peine arrivé dans un village chilien censé attiser son inspiration, voit les habitants le confondre avec un certain Diego - prénom du réalisateur, pour ceux qui n'auraient pas suivi - avec lequel le bandit en chef des environs a manifestement quelques comptes à régler. En jouant sur ces deux tableaux avec brio et grâce à un enthousiasme communicatif, Rougier s'offre le luxe de ne pas séduire que les obsédés, comme lui, du western.

Ce que nous apprend aussi cette sélection, c'est qu'au Sud, l'Ouest se situe parfois à l'Est et d'autres fois au Nord-Est ou encore au Nord, voire à peu près n'importe où pourvu qu'il y ait un désert et des winchesters. Au Brésil, par exemple, c'est le Nordeste des années 1960, aride, pauvre et encore tenu par des grand propriétaires terriens soutenus par des autorités locales corrompues, qui sert de décor à Antonio das Mortes, dernier et plus célèbre volet d'une trilogie consacrée à la figure des cangaceiros, bandits populaires apparus à la fin du XIXe siècle. Le réalisateur Glauber Rocha, pour le coup, reprend des thèmes similaires à ceux qui fondent le western - opposition entre petits fermiers et gros propriétaires de bétail, tension entre loi du plus fort et institutions judiciaires lointaines tant physiquement que symboliquement - et les résume brillamment : "Dieu a créé la terre, le diable les barbelés".

Belle occasion de découvrir le Cinema Novo que ce film où l'on ne cesse de chanter et danser, dont le faux-rythme déroute puis envoute, et qui fut récompensé en 1969 par un prix de la mise en scène sur la Croisette.

Faut-il, pour finir, reprocher à cette sélection, qui a régulièrement fait salle comble, de perpétuer une image du western qui occulte largement son époque classique, traitant plus volontiers de conquête et d'Indiens que de règlements de compte entre gunmen ? Oui et non : l'adolescent qui sommeille en tout amateur de westerns reste peut-être toujours convaincu que rien ne vaut, au fond, un bon Leone, sinon un bon Eastwood.

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