Faux départ à Locarno (Locarno 2012-1)

Les projections sur la Piazza Grande, y a pas, ça en jette, c'est magique. Un écran de 18x24m, les étoiles au-dessus de la tête, des milliers d'yeux rivés sur le même film... Le premier soir, bien sûr, il faut se farcir la présentation des jurys au grand complet, la pommade pour le conseiller fédéral, les violons pour le plus beau public du monde... Il y a eu aussi l'hommage à Charlotte Rampling, qui en a profité pour nous éclabousser de toute sa classe, le temps de trois phrases bien senties. Last but not least, en ce 1er août, nous fûmes gratifiés par la cantatrice Anne Sofie von Otter de l'hymne national, a capella s'il vous plaît et dans les quatre langues - ce fut donc quatre fois plus long.

Mais chacun savait que, pour nous récompenser d'avoir été bien sages pendant une bonne heure, la magie du lieu allait opérer, qu'on allait en prendre plein les mirettes pour le double de temps. Sauf qu'une belle place et un écran géant ne suffisent pas à sauver un film en toc. Celui dont les programmateurs ont cru bon nous gratifier pour cette première soirée, The Sweeney, se trouvant à peu près au niveau d'un film projeté un dimanche en deuxième partie de soirée sur TF1, aurait eu largement assez d'un écran de 18x24 centimètres et de quelques milliers d'insomniaques anonymes comme juste rétribution de sa médiocrité.

Cette chose hideuse qui nous a été infligée, débordant de testostérone et de vulgarité, ferait passer Charles Bronson et Chuck Norris pour des enfants de coeur, des hippies, des petits branleurs droits-de-l'hommistes embarrassés d'inutiles principes gaucho-démocratiques. Bref, des mauviettes, des gonzesses. Parce qu'à la brigade d'élite Sweeney, on n'y va pas par quatre chemins pour stopper un hold-up, on distribue les coups de boule, on n'a pas peur de mettre les mains dans le cambouis, on fait avouer les crapules quitte à leur péter une jambe au passage et, surtout, surtout - car il en est question dans le film, qui n'oublie pas les sujets fondamentaux - on en a une grosse - et ça tombe bien parce que c'est ça qu'aiment les femmes, les vraies.

Une fois lancé, il faut savoir aller au bout de la médiocrité. Par conséquent, non content de faire l'apologie de la violence et de l'auto-défense - n'en déplaise à ces planqués de la police des polices qui se tournent les pouces derrière leur bureau pendant que les méchants mettent le monde à feu et à sang, violant les femmes et tuant les enfants de braves contribuables victimes de la démission d'un état laxiste ; non content, donc, de véhiculer un discours écoeurant, le film de Nick Love se paie le luxe d'être écrit avec des ficelles épaisses comme des cordes de marine. Il faut une heure au chef de notre brigade d'élite pour se rendre compte que le meutre gratuit du début n'était pas - oh my god ! - gratuit, mais bien plutôt au coeur d'une immense et vicieuse machination visant à faire passer nos courageux policiers pour des salauds : costauds, les gus, mais z'ont pas fait l'ENA - d'où la haine tenace qu'ils vouent à leurs bureaucrates de supérieurs ?!

Reste à espérer que la compétition internationale saura faire passer le goût rance laissé sur le palais par cet ignoble hors-d'oeuvre et le triomphalisme gerbant de sa dernière scène, annoncé en fanfare par le slogan plein de panache de l'affiche : "Act like a criminal to catch a criminal".

Beurk.

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