L'invasion du méchant plan-patafix (Locarno 2012-8)

Tout au long de cette 65ème édition de Locarno, une tendance s'est dégagée : l'us et abus de plans fixes. De Wo hai you hua yao shuo (Quand la nuit tombe), du chinois Ying Liang, à A ultima vez que vi Macau (La dernière fois que j'ai vu Macao), des portugais Joao Pedro Rodrigues et Joao Rui Guerra da Mata, en passant par les documentaires The End of time, du canadien Peter Mettler, et Far from Afghanistan, film collectif - et inégal - proposé dans la sélection Fuori Consorso, le plan fixe s'insinue, voire - pour les deux premiers cités - colonise tout à fait les œuvres présentées à Locarno.

Première hypothèse, mauvais esprit, le cinéma d'auteur n'a pas les moyens de se payer des chefs opérateurs : on pose la caméra, on tourne tout - ou presque - en plan séquence et hop, un salaire de moins, c'est toujours ça de pris. Deuxième hypothèse, encore plus mauvais esprit : le plan fixe fait très "auteur". Loin de Hollywood, on prend son temps, on s'attarde sur le contenu du cadre, la lumière, on prend ses distances avec les industries culturelles pour se rapprocher des arts plastiques.

La palme revient à Leviathan, par ailleurs techniquement bluffant, réalisé sur un bateau de pêche à l'aide de caméras GoPro fixées un peu partout pour plus de deux cents heures de rush. Après de (très) longs moments passés à observer des filets déversant des poissons, des pêcheurs faisant le tri parmi des coquillages et d'autres découpant des raies, on trépigne, on attend le surgissement de Moby Dick. Pas de chance, en lieu et place de la terreur des mers du Sud, on a la joie de contempler, pendant plusieurs minutes, le capitaine et sa moustache, face à sa télévision - et à nous, en train de piquer gentiment du nez. Ce serait de l'art contemporain, ce pourrait être une belle mise-en-abîme : le spectateur face à lui-même et plongé dans un insondable ennui, etc. Vu le reste du film, je pencherais plutôt pour l'hypothèse du trait d'humour involontaire.


Mais le fait est qu'on ne peut balayer d'un revers de main le travail sur le sens de l'image qui se dégage de La dernière fois que j'ai vu Macau et de ses personnages dissimulés dans le hors-champ, pas plus que l'ambiance saturée par le son des machines de Leviathan - qui a beaucoup plus à Antoine Duplan, du Temps, et encore moins l'atmosphère oppressante et figée de Quand la nuit tombe. La forme y traduit le parcours kafkaïen de la mère d'un condamé à mort chinois, internée sans explication le temps du procès de son fils, empêchée de le voir jusqu'à la veille de l'exécution et informée de ladite exécution après coup. L'immobilité de la caméra, le hors-champs omniprésent, la lumière blafarde, la froideur clinique de certaines scènes : la claustrophobie gagne le film et rend superbement la capacité du système judiciaire chinois de tout broyer sur son passage. Un prix de la mise en scène pas usurpé.

Voilà, clap de fin sur Locarno 2012, en attendant que les films en compétition trouvent, au moins pour quelques uns, le chemin des salles obscures dans les mois à venir. Vivement l'année prochaine pour une 66ème édition, avec un nouveau directeur artistique, des stars, des paillettes et des groupies aux ongles vernis.

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