Le Meilleur des Bond ("Skyfall")

Face caméra, image floue, la silhouette de Daniel Craig avance, accompagnée par les premières notes du thème de John Barry. Rai lumineux incertain devant 007, qui tire partiellement son visage de l'ombre le temps d'un gros plan, entrée dans une pièce mal éclairée et jonchée de cadavres. Puis Bond sort, enfin, plongeant dans la lumière d’Istanbul : l'action peut commencer, avec à la clef une course-poursuite en moto sur les toits de la ville, puis à pied sur celui d'un train transportant des engins de chantier, le temps d'un placement produit inédit pour Caterpillar - y a pas que les belles bagnoles dans la vie. Entre ombre et lumière, c'est là que se joue le vingt-troisième Bond, dans un incessant aller-retour entre, d'un côté, actualisation du personnage par absorption du cinéma des vingt dernières années et, de l'autre, hommage à la série mais aussi au cinéma, entre citations, clins d’œil et auto-dérision décapante.

Ombres et lumière, donc, entre fidélité au genre par la multiplication des références, mais pour mieux les torpiller, avec un plaisir non dissimulé : Bond ressort l'Aston Martin DB5 de Goldfinger, pas très confortable mais so British, pour que le méchant Silva puisse mieux la dégommer sous les yeux de James - très colère sur le coup. Idem pour les innombrables références au cinéma qui vont de l'imaginaire postmoderne saturé de tubes et d'explosions, avec un fort arôme de Nolan - pour le meilleur et pour le pire -, au gros pastiche qui tâche - l'assaut d'un hélicoptère balançant à fond une reprise déjantée de Boom boom boom a dû faire frémir la moustache de Coppola.

Ombre et lumière, toujours, entre un sérieux implacable - M balance l'air de rien un poème de Tennyson et Daniel Craig n'a jamais autant fait la gueule - et une bonne dose de rigolade, incluant le très vilain toutou en porcelaine de M, seul survivant de l'explosion du MI-6. Entre un James toujours aussi à l'aise quand il s'agit de parcourir le Monde en smoking mais s'offrant un retour aux sources dans la vieille maison de papa et maman, un James éternellement imperturbable, efficace et irrésistible, image monolithique sous laquelle affleure pourtant une fragilité nouvelle, une petite crise de la cinquantaine qui lorgne plus du côté de Le Carré que de Fleming.

Ombre et lumière, enfin, entre les tubes par lesquels transitent toutes les actions de 007, jusqu'aux bureaux du MI-6 où des petits génies de l'informatique suréquipés suivent les moindres mouvements de l'agent de Sa Majesté, ou jusqu'à l'antre de Silva, hacker-terroriste aussi sinistre que redoutable, prêt à faire sauter la moitié de Londres pour assouvir ses désirs de vengeance ; entre les tubes du XXIe siècle, donc, et la terre des ancêtres, celle qui ne ment pas, celle dont les tourbières font le goût inimitable du Scotch, et n'est pas loin de faire passer la dernière partie du film pour une pub pour Clan Campbell. "Welcome to Scotland !" s'écrie joyeusement le bon vieux Kincade, satisfait du bon coup de chevrotine qu'il a placé dans les dents d'une raclure au service de Silva.


Bref : le meilleur Bond, après cinquante ans de tâtonnements ? Sans aucun doute, pour la simple et bonne raison que le réalisateur a décidé, pour une fois, de ne pas se contenter de faire sagement le boulot. Ce qui aurait été pour le moins dommage, dans un épisode qui commence par faire mourir Bond, pour mieux lui faire dire ensuite : "Mon hobby ? La résurrection".

Enormous.

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