On a aimé "Oblivion" (pour de vrai)

Je compte sur mes lecteurs friands - en témoigne la lecture assidue de ce blog - d'un cinéma s'adressant à l'être éclairé qui veille en chacun d'eux plutôt que de flatter leurs bas instincts et les reléguer au rang de dindes, pour avoir préféré ignorer le peu avenant Oblivion et, le cas échéant, s'être contentés de la lecture de la bande dessinée - pardon : du roman graphique. Face au - relatif - fiasco de cette énième tentative de Tom Cruise de prouver qu'il demeure l'acteur hyper-bankable qu'il fut vingt-cinq ans durant et, disons-le, empli de culpabilité face au manque à gagner ainsi occasionné pour l'église - hum... enfin, bref - de scientologie, le Monde dans l'Objectif se propose de se lancer dans une entreprise de réhabilitation de cette dernière étape en date du plan de carrière du beau Tom - dont le petit sourire en coin gagne en crédibilité avec les années, il faut bien l'admettre.

[Note pour les amateurs de suspense : le scénario tire l'essentiel de sa force d'une suite de rebondissements diversement inattendus et crédibles, dont les paragraphes qui suivent s'appliquent consciencieusement à réduire l'effet à néant.]

Pour faire court, Oblivion se déroule après la quasi-destruction de la Terre, conséquence d'une guerre - certes gagnée - contre des envahisseurs extraterrestres. Les "Scavs", non contents de nous avoir poussés à faire sauter notre propre planète à coups d'atomes, se révèlent passablement mauvais joueurs et consacrent leurs dernières forces à empêcher les humains rescapés, réfugiés dans un gigantesque vaisseau en partance pour Titan, de récolter sur ce qu'il reste de planète l'énergie nécessaire au voyage vers le satellite promis. L'ami Tom Cruise-Jack Harper, épaulé par la charmante Andrea Riseborough-Victoria, est une sorte de super-électricien-plombier high-tech, responsable de la maintenance de drones ultrasophistiqués, eux-mêmes chargés de surveiller le bon fonctionnement de stations de pompage géantes.

Il y a, pour commencer, un sous-texte tendanciellement hitchcockien - si, si : pas pour le suspense mais pour la couleur de cheveux des actrices - sur le couple et l'hésitation d'un beau mâle entre sa compagne - rousse, belle et un peu stricte : le feu sous la glace mais aussi tout le poids des conventions - et l'inconnue qui déboule dans sa vie après avoir hanté ses rêves - brune, belle aussi et dont les yeux en amandes contiennent les promesses d'une vie nouvelle, au mépris des radiations.


Plus intéressant, le traitement des paysages post-apocalyptiques joue sur deux tableaux. Le début du film s'inscrit dans l'imaginaire de ruines urbaines au cœur de la production science-fictionnelle des dernières décennies : hors de sa maison - avec piscine - perchée dans les nuages, Jack se trouve face à une abondance de signes ne faisant que partiellement sens et témoignant d'un monde disparu - un stade, des restes de l'Empire State Building, une bibliothèque -, monde dont il n'arrive à se remémorer que quelques détails fugaces - d'où le titre. Comme dans nombre d'autres films post-apocalyptiques, ce monde résiduel ne fait plus sens, n'offre plus de prises : c'est, à peu de choses près, le dysfonctionnement du réel décrit par Deleuze dans Cinéma 2.

Le scénario accorde donc une bonne place à cette nostalgie d'un monde perdu par la faute humaine, omniprésente dans les 'écofictions' - récits plus ou moins radicalement catastrophistes relayant les thèses environnementalistes, que recense Christian Chelebourg dans l'ouvrage du même nom. Mais - et c'est bien là qu'on veut en venir - ce discours se voit décrédibilisé dans une deuxième partie qui, si elle perd un peu en intensité, offre une vision inédite : la fin du monde n'est qu'une imposture, entretenue par une illusion poussant Jack à poursuivre sa mission tel un bon petit soldat. Lorsque, encouragé par ses nouveaux amis, il décide d'aller voir ce qu'il y a vraiment dans les zones irradiées que la discipline, au moins autant que la peur, lui interdisait d'explorer, ce n'est pas seulement le film de Joseph Kosinski qui rebondit mais tout un pan de l'imaginaire hollywoodien qui reçoit une grande gifle.

Le film prend là le contre-pied d'un discours catastrophiste nous annonçant une fin du monde aussi inévitable qu'imminente et propose une version simplifiée de la thèse défendue par Michaël Foessel dans son salutaire Après la fin du monde : vivre dans la crainte de l'Apocalypse, voire dans la croyance confuse qu'elle a déjà eu lieu, empêche de penser l'avenir autrement qu'à la lumière d'une catastrophe devenue inévitable et exclut toute réflexion constructive sur le présent.

Fondamental.

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