Tragiques discontinuités (L'Attentat, Ziad Doueiri)

L’Attentat, dont il faut saluer la belle résistance sur les écrans français, avec encore 183 salles en cinquième semaine, est un film terrible, sans concession, nous invitant à accompagner un personnage écartelé. Médecin palestinien travaillant à Tel-Aviv, aisé, entouré de nombreux amis juifs, intégré jusqu'à recevoir un prix de l'ordre des médecins israéliens, Amine désespère de comprendre, lorsque lui arrivent les blessés d'un attentat à la bombe dans un restaurant, qui peut bien commettre de telles atrocités et au nom de quoi. Jusqu'à ce qu'on lui demande d'identifier le corps de sa femme, soupçonnée d'être responsable de l'explosion, transformant son incompréhension en sidération et en volonté d'identifier qui a pu convaincre celle qu'il croyait connaître de commettre ce geste tragique et absurde.

Partant de ce télescopage entre un personnage symbolisant - jusqu'à un certain point - une possible cohabitation et un autre, supposément proche de lui, incarnant de manière radicale l'impossibilité de cette cohabitation, le réalisateur libanais Zouad Doueiri veut nous aider à comprendre l'incompréhensible, à concevoir l'inconcevable. Amine part en effet en quête de réponses mais encombré de ses certitudes, au même titre que le spectateur : il va devoir lâcher progressivement du lest, non pas pour excuser l'horreur, encore moins pour la cautionner, mais pour entendre.

Au cœur du processus, il y a logiquement la frontière entre Israël et Palestine, discontinuité majeure s'il en est, mise en scène avec force par Doueiri. De son hôpital de Tel-Aviv à Naplouse, en passant par le check-point où la tension monte vite entre de (trop) jeunes soldats et des assignés à résidence excédés, le docteur Amine traverse un gouffre dont il avait manifestement oublié la profondeur et redécouvre un monde saturé de frustration, de violence physique et symbolique et de ressentiment, loin, très loin de sa villa de la banlieue telavivienne.


Le voyage, toujours, la prise de conscience par la confrontation à une réalité si radicalement différente qu'on ne peut la concevoir sans s'y frotter. Amine va revenir en même temps des profondeurs de la misère et de ses croyances et espoirs, lui qui ouvre le film en rappelant que tous les Juifs sont arabes. A voir absolument, pour s'obliger à penser l'impensable.

Nécessaire.

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