Pêche estivale (1) ('Insaisissables', 'Pacific Rim')

Privé de Locarno 2013, il a fallu se consoler en partant à la pêche au film de l’été, équipé d'un filet aux mailles ni trop fines ni trop larges, histoire d’attraper non seulement du gros poisson-blockbuster mais aussi du menu fretin, du film d'auteur intimiste perdu dans l’océan hostile des sorties de juillet-août. Première tentative de résumé géographiquement correct ci-dessous.

Du côté des Grands Blancs aux longues dents pointues écumant les mers d’Hollywood, et pendant que la critique française se pâmait un peu vite devant le certes frétillant Star Trek Into Darkness, on a attrapé, mal nous en a pris, Insaisissables (in English : Now you see me). La chose a été commise par Louis Leterrier, auquel on aurait du culot de reprocher d’avoir oublié de faire pousser, avec une persévérance presque admirable, quelques beaux navets dodus dans son jardin d’Amérique (Le Transporteur 2, L’Incroyable Hulk, Le Choc des Titans…). Après une demi-heure presque prometteuse, au spectateur qui s’ennuie de plus en plus ferme devant cet Ocean’s Eleven réchauffé, il reste une occupation possible : faire la liste des poncifs géographiques alignés par le film, des caricatures d’espaces assénées sans vergogne par Leterrier.

On en retiendra une : avec en point d’orgue un plan d’ensemble qu’on a vu cent fois – avec la Tour Eiffel au loin, que c’est joli –, le Pont des Arts se voit accorder le statut peu enviable de lieu emblématique d’un Paris de carte postale rance. Clou du spectacle et incarnation charnelle de cette géographie attardée, apparaît Mélanie Laurent, qui semble, tel un géosymbole humain, condamnée à éternellement jouer à Hollywood la figure de la petite parisienne branchouille, jolie et avec du caractère, et à l’accent d’autant plus irrésistible qu’elle ne roule pas les ‘r’ comme dans Night Train to Lisbon. La voilà donc qui déboule, comme chaque matin, son Libé sous le bras, pour une promenade-lecture quotidienne sur le pont des amoureux, où elle regarde les gens vivre et se pose des questions profondes sur le pourquoi du comment de l'existence et des cadenas d'amoureux, pendant qu’en son honneur se lève le soleil… On voudrait en rire. On se demande surtout à qui s’adresse un tel discours et s’il touche son (ses) public(s).


Beaucoup mieux armé pour se voir décerner le titre aussi rentable qu’arbitraire de blockbuster de l’été, Pacific Rim en met plein les yeux, ce n’est rien de le dire, et il suffit de voir défiler, pendant le générique de fin, la liste interminable des membres des équipes chargées de l’animation, pour mesurer la performance technique qui vient de se jouer sous nos yeux ébahis. Performance mise au service d’un délire baroque oscillant entre Gozilla, King Kong et Transformers, cocktail a priori pas forcément très digeste mais qui se révèle explosif, si l’on excepte quelques passages obligés (?) de grandiloquence lourdingue faite de discussions les yeux dans les yeux, de discours sans fard et de solidarité et d’amitié virile entre combattants intrépides prêts à donner leur vie – avec style – pour sauver l’Humanité.

Del Toro, à grands renforts d’effets spéciaux bluffants et de bagarres dantesques entre les monstrueux kaiju – venus du fond des océans et très, très méchants – et les non moins monstrueux jaegers – fabriqués par les humains sur le modèle de Goldorak, pour tenter de faire face aux précédents –, fait astucieusement reposer sa mise en scène sur les contrastes de taille : le gigantesque et le minuscule se côtoient sans cesse – des oiseaux qui s’envolent aux pieds d’un jaeger en pleine glissade, une petite fille poursuivie par un kaiju entre les tours hongkongaises –, manière pour le réalisateur de partager sa fascination, mêlée de jubilation, pour des créatures que leur taille rend incommensurables à l’échelle des hommes et de leurs constructions, aussi imposantes soient-elles.


Ainsi de la pourtant respectable skyline de Hong-Kong, devenue le nouvel objet de ravissement de studios hollywoodiens avides de gigantisme teinté d’exotisme, qui revoit son statut à la baisse lorsque y débarquent les monstres. La ville (post)moderne - donc pas seulement Hong-Kong, puisque Sydney aussi, entre autres, se voit prise d'assaut par un kaiju -, dans toute sa démesure architecturale, trouve enfin plus démesuré, plus sidérant qu’elle. Faut-il le préciser : grand écran sinon rien.

Impressionnant.

Commentaires