Locarno 2014 - Jour 2 : Cinéma d'art et déchets

Puisqu’il faut parfois faire confiance à ses amis, et qu’on m’a fait jurer de ne pas aller voir l’argentin Los Disparos, j’ai juré. On m’a aussi conseillé de me lancer dans Mula sa kung ano ang noon, aventure philippine de 5h38, je n’ai pas juré. J’ai préféré partir à la découverte d’un digne représentant du genre comédie-new-yorkaise-psychanalytique-à-humour-grinçant-woodyallenien, Alex Ross Perry. Son troisième long-métrage, Listen up Philip (Concorso internationale), dissèque la déprime grandissante d'un jeune écrivain doué pour faire son malheur et celui de ceux qui l'entourent, pris sous sa protection par un vieil auteur aussi narcissique et suffisant que célèbre, et poussant plus loin encore l’art de se complaire dans un malheur et une méchanceté opérant comme garanties de son génie.

À personnages nombrilistes, film un peu forclos, victime de son propre sujet mais réussissant, ici et là, des merveilles, servi par une jolie photo impressionniste et une actrice, Elisabeth Moss, merveilleuse en compagne délaissée cherchant à refaire sa vie. Avec une question toute géographique en prime: y a-t-il une géographie de la création ? Oui, répondent les deux auteurs - et le réalisateur avec eux, sans doute, puisqu'on soupçonne fortement le film de verser dans l'autoportrait -, qui pensent que fuir la ville pour le silence et le calme des forêts de la côte Est permet seul de se libérer des diverses entraves que rencontre l'inspiration lorsque l'artiste reste en contact avec ses semblables. Misanthropie à trois sous ou à la Thomas Bernhard, c'est à discuter.

À des années-lumière mais avec un point commun, la photographie, le Portugais Pedro Costa, habitué des grand festivals, signe le très – trop – esthétique Cavalo Dinheiro (Concorso internationale). Si, parmi les innombrables plans fixes surgissent des merveilles d'une beauté à couper le souffle, si les intentions de parler à la fois de la Révolution des œillets et de la misère des travailleurs cap-verdiens immigrés au Portugal donne envie d'y croire, si la peinture des ruines industrielles de Lisbonne ajoute encore à ce qui aurait pu être une fascinante plongée dans l'espace et le temps lisboètes, il reste que l'absence d'écriture a généré une symphonie de soupirs, bâillements et ronflements, dans une salle qui n'a cessé de se vider une heure quarante durant... Posture d'auteur chiant ou esthète génial, à débattre…


Enfin, impossible de ne pas sacrifier au culte du documentariste suisse, il y en a forcément un dans le Concorso Internationale: après La Forteresse – lauréat du concours Cineasti del Presente en 2008 – et Vol Spécial en compétition en 2011, Fernand Melgar qui s’y colle une nouvelle fois cette année, revenant à Locarno nous parler des hébergements d’urgence et filmer au passage sa ville, Lausanne. Fichtre, une foule en furie, dont quelques éléments prêts au meurtre pour une place – et dont la moitié a dû s'autoriser à sortir avant la fin du film en arborant une moue dédaigneuse et blasée –, m’a empêché de communier en faisant imploser la salle, après quoi une jolie averse s’est abattue sur les refoulés, du moins ceux qui n’étaient pas restés à l’intérieur pour soulager leur frustration en insultant le personnel du festival ne les ayant pas prévenus qu’ils ne rentreraient pas – évidemment, c'est pas à Luc Besson, l'homme qui utilise 10% de son talent, qu'une chose pareille serait arrivée.

Demain, faudra penser à être en avance aux séances.

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