Géopolitique à coups de crosse ('Red Army', Gabe Polsky)

Dans les années 1960 et 1970, l'équipe soviétique de Hockey sur glace, emmenée par les joueurs du club de l'Armée Rouge, le CSKA Moscou, rafle la quasi-totalité des titres mondiaux à la barbe du Canada et des États-Unis. Au début des 1980, l'humiliation des équipes de l'Ouest continue grâce à une "dream team" de cinq joueurs se connaissant par cœur, dont Viatcheslav "Slava" Fetissov. En centrant son documentaire sur ce défenseur légendaire, et à l'aide d'une impressionnante masse d'archives, Gabe Polsky s'intéresse moins aux exploits hors du commun de l'Armée Rouge qu'au lent mais sûr déclin de l'URSS Brejnevienne, illustré par le destin de ces cinq magiciens de la crosse et du palet.

Il y a les échecs pour la tête - les amateurs des soixante-quatre cases s'amuseront de l'apparition furtive de Karpov, champion du Monde de 1975 à 1985, dans les premières minutes du film - et pour les jambes le sport, donc le Hockey. Entraînés comme des bêtes de somme depuis leur enfance, les hockeyeurs russes, sans surprise, approchent la perfection sur la glace.

Un style soviétique

Mais surtout, et là aussi la comparaison avec les échecs tient, il y a un "style" soviétique. Les joueurs livrent un véritable ballet sur les patinoires et, même quand on n'y connaît rien, c'est un enchantement. Or un style, comme une culture, ne sort pas de nulle part, et surtout pas de l'ADN, mais de la volonté acharnée de quelques uns, ici d'Anatoli Tarassov, vainqueur en tant qu'entraîneur de dix (!) championnats du Monde et de trois Jeux Olympiques - puis mis à l'écart en 1972 : on est loin des purges des années 1930 mais la vie d'entraîneur soviétique n'est toujours pas un long fleuve tranquille.

Et un style, comme une culture, supporte mal le transport : avec la Perestroïka, les joueurs russes inondent la NHL nord-américaine et s'y gavent de dollars, mais ce sont finalement eux qui se noient. Car aux États-Unis et au Canada, on paie les joueurs (très) cher mais on les laisse jouer pour leur pomme et se castagner comme des gosses. Comme des petits rats perdus sur un ring de catch, les nouveaux arrivants ne sont pas seulement victimes du racisme des joueurs locaux - l'effet plombier polonais -, ils souffrent d'une totale inadaptation aux mœurs, sur la glace bien plus qu'en dehors.

L'épopée des Red Wings

Pas mal rentreront au bercail mais entre temps, ironie du sort, l'entraîneur des Red Wings de Detroit réussit le coup du siècle en réunissant dans son club cinq Russes, dont Fetissov, et en ayant la bonne idée de les laisser jouer comme ils l'entendent. Résultat, record du plus grand nombre de victoires en NHL en 1995-1996 et deux titres consécutifs en 1997 et 1998.

Si vous n'avez jamais rien compris au Hockey, voire jamais eu très envie de comprendre, Polsky vous fera changer d'avis en une heure et quart d'un rythme endiablé.

Belle glissade.

Commentaires